Thursday, June 22, 2006

Szyszlo et son premier tableau d'art abstrait


En 1947, Fernando de Szyszlo inaugure sa première exposition individuelle à l’Institut Culturel Nord-Américain (ICPNA). L’année suivante, il expose avec un autre artiste de sa génération, Jorge Eduardo Eielson, dans la Galerie de Lima. Alfonso Castrillón soutient que Szyszlo a déjà expérimenté l’abstraction, avant son départ pour Paris[1]. Pour appuyer sa thèse, l’auteur se réfère à un bas relief en os peint que Szyszlo aurait réalisé en 1945 (ill.8). L’oeuvre est aujourd’hui en possession de l’artiste. Les couleurs, dans des tons éteints de l’ocre au gris, sont caractéristiques de l’oeuvre de Picasso dans les années 1912-1914, et les formes rappellent la connaissance des futuristes italiens via Pettoruti. Cependant, rien ne prouve que l’artiste a conçu cette oeuvre à cette date. Emilio Tarazona (1975), curateur péruvien, pense que « le relief est très abstrait pour être de 1947, il doit être de l’exposition de 1951 ou d’un peu avant. Mais, [il] ne [croit] pas qu’il soit antérieur à 1949 (c'est-à-dire son voyage en Europe et sa définitive conversion à l’Abstrait). […] Ce sont peut-être des détails, mais ils ont leur importance dans ces courtes mais définitives années dans lesquels se définit la consolidation de l’abstraction »[2].

Szyszlo déclare : « avant de partir [en Europe] j’avais déjà fait quelques choses [des oeuvres abstraites], mais ces choses n’ont pas survécu aux voyages, d’ailleurs, dans l’exposition que j’ai faite dans la Galería de Lima en 1949 avant d’aller à Paris, il y avait des choses abstraites ». En effet, Dore Ashton a reproduit dans son ouvrage[3] une oeuvre de Szyszlo, manifestement abstraite. L’auteur la date de 1949 (ill.9). Il est fort probable que l’oeuvre date de 1949, car elle présente des similitudes avec d’autres oeuvres dont on sait qu’il les a réalisées en 1947 et 1949[4]. On retrouve la même palette qui est caractéristique de cette période de l’artiste. Or, Szyszlo voyage en Europe dans le courant de l’année 1949. Cette oeuvre a-t-elle été exposée à Lima avant son départ pour Paris ou a-t-elle été réalisée après son installation dans la capitale ?

À la question de savoir s’il a déjà expérimenté l’abstraction avant son départ pour Paris, l’artiste répond « oui » et ajoute : « plus que de l’art abstrait, ce que je faisais à cette époque, c’était du cubisme, de la période du cubisme analytique de 1911, avec des allusions figuratives »[5] (ill.10, 11). L’artiste se réfère à cette phase du cubisme de la déconstruction du motif, très proche de l’abstraction. En effet, le tableau Sans titre de 1947 est presque non-figuratif. On reconnaît à peine les objets représentés, et le titre ne fait aucune allusion à la réalité, alors que dans la Nature morte de 1946, on identifie une bouteille, deux fruits, un couteau et un plat posés sur une table. Lorsque la toile de 1947 est à côté de la nature morte de 1946, il est plus aisé de distinguer ou d’imaginer la représentation d’une bouteille, de fruits, d’un plat, etc. Sinon, on observe des formes plus ou moins géométriques de différentes couleurs. Dans les deux tableaux, les couleurs utilisées s’éloignent de la palette verte, brune et grise du cubisme analytique. La nature morte utilise une dominante de bleu nuit ; l’ensemble de la composition, très sombre, est rehaussé par la tonique rose vif très lumineuse. Toutefois, l’idée d’une représentation de l’objet sous différents angles, qui reproduit plusieurs facettes du même objet, propre à la phase cubiste synthétique, n’est manifestement pas respectée par l’artiste. Par conséquent, nous sommes contraints de penser que Szyszlo a proposé ici une interprétation ou une relecture du langage cubiste.


N.B : veuillez excuser la mauvaise qualité des images. C’était ça ou rien !

[1] CASTRILLÓN V., Alfonso, De Abstracciones, informalismos y otras historias…, catalogue d’exposition, Instituto Cultural Peruano Norteamericano, Lima, 2002, p. 38.
[2] Correspondance par e-mail le 20 janvier 2005.
[3] ASHTON, Dore, Fernando de Szyszlo, édition Polígrafa, Barcelona, 2003, p. 209.
[4] Les tableaux en question sont signés et datés par l’artiste.
[5] Entretien avec Fernando de Szyszlo, le 4 février 2005.

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